Votre mère ne mange pas

Une phrase constante à chaque appel pour m’informer que ça ne va pas.

Une phrase constante sans aucune arrière-pensée venant de l’interlocuteur médical mais qui me tue chaque fois.

Les médecins me parlent, comme si c’était la première fois qu’ils m’expliquaient que ma mère se meure.

J’aime bien cette expression car elle appelle à une autonomie, une décision. « Se mourir », « se laisser mourir ».

« Votre mère ne mange pas. »

Au début, je craignais qu’une vieille femme souffrant d’Alzheimer avancé serait laissée pour contre et oubliée à l’hôpital ou elle a été amenée pour une coupure qu’elle était trop agitée pour suturer.

Je ne m’attendais pas à devoir lutter contre l’acharnement de ne pas accepter sa fin,

Bien sûr, j’ai eu 5 années pour me faire à l’idée. La perdant doucement, inexorablement, pour toujours.

« Votre mère ne mange pas. Les préposées ne la forceront pas par peur de pneumonie aspiratoire. Je ne recommande pas un tube de nourrissement. »

Bien sûr, laissez-la en paix.

« Votre mère ne mange pas. Il faut une endoscopie et/ou colonoscopie pour voir pourquoi. »

Non, non, il ne le faut pas. Pas de tests invasifs, non, je dis pour la deuxième fois en trois jours.

« D’accord, nous garderons son soluté pour un maximum de 48 heures et si la situation ne se règle pas, nous allons l’envoyer aux soins palliatifs. »

Pourquoi pas maintenant ? Quelle qualité de vie voyez-vous chez elle ?

Je le pense mais ne le dis pas car j’ai eu à lutter et je n’ai plus l’énergie pour continuer.

Et elle ne m’aurait pas écoutée. Une religion qui croit que la vie est trop sacrée pour offrir une minuscule autonomie de décès, peut-être ?

Oui, oui, tous les médecins sont fabuleux (nausée).

Pour vivre, sûrement, mais pas pour mourir.

Les jours passent. Des médecins sans nom lui ont enlevé mais ensuite remis sont soluté.

Sans m’en parler.

« Voter mère ne mange pas. »

Je sais. La blâmez-vous ?

Ou moi peut-être ? Allez-y, ça ne sera jamais pire que ce que je me suis déjà dit, en insistant pour ma survie à gérer de loin.

« Puis-je avoir votre accord pour lui enlever son soluté ? Il faudrait aussi arrêter les prises de sang. »

Mais qu’est-ce que vous attendiez, bordel ? Combien de fois vous avez forcé quelqu’un à piquer une très petite femme sans défense avec seulement la peau et les os ? »

« Nous allons la garder ici, il n’y aura pas de transfert aux soins intensifs. »

« Votre mère ne mange pas. »

La même médecin qui a oublié la majorité de notre discussion précédente.

« Avons-nous votre accord pour l’envoyer aux soins palliatifs ? Il faut que toute la famille soit d’accord. »

Vous voulez dire qu’après 6 semaines vous allez enfin faire l’effort de parler à mon père qui est la presque chaque après-midi ?

« Pouvez-vous le préparer ? »

Je n’ai fait que ça depuis 5 ans, docteur.

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